Après mai 68, je prends ma carte à la CGT.

On avait occupé l’usine pendant quinze jours, et les discussions avec les copains m’avaient donné envie de me syndiquer.

Il faut dire qu’en à peine dix ans, les Papeteries avaient bien changé : d’une industrie locale et familiale, on était passé à une toute autre échelle.

En 1963 on fusionne avec les papeteries de Pont de Claix, en Isère.

Et en 1970, on se rapproche des Produits Chimiques et Celluloses Rey.

Les Papeteries de Cran sont devenues un grand groupe. Cela n’était pas forcément bien vécu dans l’usine.

« Cran était le siège de la société, où l’on prenait les décisions alors qu’elles sont maintenant prises à Paris, dans des bureaux, par des gens qui n’ont jamais vu l’usine. »

Enquête interne sur le climat de l’usine, 1972.

C’est à la salle à papier que le malaise était le plus profond.

La situation était tellement tendue pour Madeleine et ses collègues qu’on a évoqué la question au comité d’entreprise, où je siégeais cette année-là.

« Le secrétaire donne le compte-rendu de la réunion du personnel féminin de la salle du 26 avril 1974, à laquelle assistait l’ensemble des délégués du CE. »

« Le travail est organisé au jour le jour, sans préparation, l’improvisation est de règle. Le travail n’est ni stable, ni suivi. Le personnel est transféré du triage au paquetage sur la Lamb, puis sur les tremplins, au marquage, sans explications, sans raisons apparentes, sans prévenir. »

« D’autre part, le personnel féminin est discrédité dans toute l’usine par certaines personnes étrangères au service. C’est inadmissible et relève de la méchanceté et de la calomnie. »

La situation était d’autant plus chaotique à la salle à papier que la production connaissait des hauts et des bas. L’arrivée de l’informatique rendait obsolète notre spécialité, la carte mécanographique. L’usine était en crise.

« A la salle de triage, prévenues qu’on enlevait sous nos yeux notre travail pour l’expédier à la salle de Lancey [une autre usine du groupe], nous avons décidé de bloquer les camions ; parcourant les différents services pour entraîner le plus de monde possible. »


Lettre écrite par les ouvrières des Papeteries Aussedat-Rey, avril 1977.

« Prenant la parole dans les assemblées, les femmes furent bout en train des manifestations en ville par tous les temps, jusqu’à s’asseoir devant la place de la mairie et à bloquer en laissant filtrer les voitures au pas avec distribution de tracts. »

« Elles tiennent à dire que ce n’est qu’au reçu de sa lettre de licenciement qu’on réalise vraiment ce qu’il y a d’odieux et d’humiliant. »

Madeleine faisait partie des licenciés.
Elle n’aura jamais travaillé à l’atelier mécanographique.

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