)) Les papetiers

Lespapetiers.fr est le volet web d’un travail de création que l’association Service Compris mène depuis l’automne 2014, autour de la valorisation patrimoniale de l’ancien site industriel des Papeteries de Cran-Gevrier.

Pourquoi les Papeteries de Cran ?

De la fermeture à la réhabilitation. Lorsque nous découvrons le site en 2012, l’usine est en friche. Autour de ce territoire en ruine, des pancartes ceinturent le site, annonçant un important projet immobilier et économique. Le site va devenir un écoquartier et le pôle de l’image en mouvement de l’agglomération annecienne.

En bordure du chantier, dans un petit bâtiment, une exposition retrace succinctement l’histoire de cette usine : fermée en 2006, les Papeteries de Cran y sont présentées comme un élément phare du passé industriel de la ville de Cran-Gevrier. Située en Haute-Savoie, cette commune de l’agglomération annécienne est le berceau des industries de l’agglomération annécienne, avec ses trois grandes usines : les Papeteries, les Tissages et les Forges. Aujourd’hui, seule l’usine des Forges subsiste. L’usine des Tissages a disparu dans les années 1950. Cran-Gevrier a été très touché par la désindustrialisation.

Nous découvrons que l’histoire des Papeteries n’a rien de spectaculaire. Elle ressemble à celle de beaucoup d’usines. C’est là sa force : à partir de cette histoire, somme toute banale, il est possible de s’interroger sur la disparition du monde industriel, son effacement, sur ce qui passe entre passé et présent. Dit autrement, à travers la réhabilitation d’une partie de l’usine, célébrée comme le passage de l’industrie du papier à l’industrie numérique, nous nous sommes demandés ce qu’il restait de cette histoire.

Une mémoire encore très présente. Nous avons alors rencontré d’anciens salariés des Papeteries et découvert leurs histoires de vie et de travail. Ces récits, tout en précisions et détails, façonnaient une mémoire vivante, « encore là ». Un petit groupe s’est formé, avec lequel nous avons retracé le fil des dernières années de l’usine, entre 1945 et 2006. Notre travail d’écriture et de création s’est ancré essentiellement dans ces moments d’échange ainsi que dans ceux, plus intimes, d’entretiens. Au gré des récits échangés, des souvenirs collectés et des objets partagés, de nouvelles questions ont surgi : que garde-t-on d’une vie de travail ? Comment la raconter ?

Un fonds d’archives rare et exceptionnel. De là, nous avons cherché d’autres traces et avons découvert que les fonds d’archives disponibles sur les Papeteries étaient d’une richesse incroyable. Alors que la fermeture d’un site industriel disperse ou efface le plus fréquemment les traces du passé, ici, les documents à disposition permettent de retracer toute l’histoire industrielle du site, sur pratiquement ses deux siècles d’existence. Conjointement au travail de mémoire que nous menions avec les anciens salariés, nous avons alors littéralement plongé dans cette manne providentielle, avec l’envie de se laisser guider et de voir sur quels chemins l’archive allait nous mener.

Comment raconter cette histoire ?

Que reste-t-il quand un lieu a disparu ? Que garde-t-on d’une vie de travail ? Quels chemins nous fait faire l’archive ? Ces trois questions ont tracé le « territoire » de nos pérégrinations et nous ont amené à concevoir deux objets de restitution distincts mais complémentaires : le journal et ce site web, chacun devant se proposer d’inscrire, dans sa forme, son contenu, son cheminement propre, une manière d’aborder ces questionnements, sans prétendre pour autant y répondre de manière ferme et définitive.

À travers le site web « Les Papetiers », nous avons souhaité expérimenter un autre chemin vers l’archive qui permettrait une entrée simple, intuitive et « immersive » dans l’histoire du lieu. Pour cela nous avons inventé un personnage de fiction : Georges, ouvrier papetier, nous raconte, en huit épisodes, son histoire des Papeteries. Ces différents moments dans la vie de notre personnage retracent chronologiquement la trajectoire industrielle de l’usine, mais de manière subjective, sensible, fictionnée… Le récit est de ce fait elliptique et partiel, comme peut l’être un récit de vie. L’archive, essentiellement iconographique, tout en conservant son statut de document historique, devient ses yeux, son regard et s’essaye, le temps de la narration, à d’autres dimensions.

Nous avons conçu le journal « Les Papeteries de Cran » pour qu’il puisse être, autant que possible, un espace de rencontre entre le récit des anciens ouvriers et l’archive. C’est pourquoi nous nous sommes acheminés sur un support papier, format tabloïd, dont la dimension familière, maniable et grand format nous donnait une grande liberté de mise en récit. Nous avons alors tricoté ensemble archives, récits et textes pour former une traversée dans l’histoire du lieu. L’idée d’entremêler ces différents registres, traces et autres éléments de mémoire, avait pour objectif d’aborder l’archive et le témoignage différemment, d’essayer de les mettre en écho, en résonnance afin de les révéler autrement. Le journal est téléchargeable ici.